GASTRONOMIE
Le Nouvel An chinois se fête aussi avec les papilles
La cuisine asiatique s’efforce de redorer son blason, terni par des restaurateurs parisiens peu regardants sur l’hygiène.
Sous le signe du dragon, maître des eaux et du temps, les festivités du Nouvel An chinois ont commencé à Paris, lundi 23 janvier, avec la seconde lune suivant le solstice d’hiver. Elles se poursuivront samedi 28 janvier par un défilé dans les 3e et 4e arrondissements, puis par un grand cortège dimanche, de la place d’Italie à la porte de Choisy, dans le 13e. Danseurs, lanternes et pétards seront de la fête, car il faut réveiller le dragon protecteur.
A la fois lunaire et solaire, le calendrier chinois – employé dans tout le Sud-Est asiatique – se développe selon un cycle de douze années placées sous le signe astral d’un animal bienfaisant. Cette fête, propice à la présentation des voeux, est l’occasion de réjouissances familiales, maisons décorées de papiers de couleur et table soignée.
La communauté chinoise en France serait de l’ordre du demi-million de personnes dont une majorité en Ile-de-France. Les premiers échanges entre la France et la Chine datent du Roi-Soleil au premier temps de la dynastie Qing (1644-1911). La cour de Louis XIV découvrait l’usage de la fourchette quand l’empire du Milieu utilisait les baguettes de bambou depuis deux millénaires. Aujourd’hui, c’est un tiers de l’humanité qui mange avec des baguettes ! Les coolies, premiers Chinois arrivés en France 1900, furent terrassiers dans les chantiers du métro parisien. Une seconde vague participa à l’effort de guerre à partir de 1916 aux côtés des troupes françaises et anglaises. Recrutés en vertu d’un traité entre Paris et Pékin, 135 000 Chinois – les » travailleurs célestes » – furent employés à des tâches non militaires : réparer les barbelés, creuser des tranchées, ensevelir les poilus tombés au front. Près de 20 000 trouvèrent la mort en Europe. Plusieurs milliers restèrent en France et ouvrirent les premiers restaurants chinois à Paris au Quartier latin, rejoints par de nombreux étudiants, parmi lesquels de futurs dignitaires, Zhou Enlai et Deng Xiaoping.
Dans les années 1950, ils s’installèrent dans le quartier Chalon, ainsi que sur le boulevard de Belleville et la petite place de Torcy ; puis à partir des années 1970, entre l’avenue d’Italie, la rue de Tolbiac, le boulevard Masséna et la rue Nationale (13e arrondissement). Aujourd’hui, ils rachètent dans de nombreux quartiers des bars-tabacs et réclament légitimement de pouvoir travailler en sécurité.
La fête réussira-t-elle à dissiper les mauvais esprits qui, depuis plusieurs années, semblent s’acharner sur les restaurants chinois ? En 2004, un reportage du magazine de France 2 » Envoyé spécial » révélait l’existence de véritables usines clandestines de fabrication de » dim sum » (raviolis) dans des conditions déplorables tandis que les services de l’hygiène faisaient la chasse au riz transgénique et aux produits toxiques (propanols chlorés) décelés dans des sauces de soja. Le choc fut considérable, l’image de la cuisine chinoise durablement ternie. L’année suivante, un groupe de restaurateurs créait un » label Qualité Asie « , avec l’objectif de soumettre un millier de restaurants à des critères contrôlés par un organisme indépendant. On est loin du compte. Seule une quarantaine d’établissements est aujourd’hui répertoriée (liste sur le site de l’UPIH, rubrique » labels qualité « ) alors que les meilleurs – au-dessus de tout soupçon – se sont dispensés de la démarche.
Attitude regrettable, mais qui ne doit pas décourager les amateurs de haute cuisine chinoise, soumise à une forte pression depuis l’arrivée en septembre du chef cantonnais Frank Xu, originaire de Shenzhen, au Shangri-La Hôtel, l’un des nouveaux palaces parisien. Ses » dim sum » (au déjeuner seulement) sont exceptionnels de délicatesse, mais le canard pékinois assez peu convaincant et les prix sont élevés. Celui de Chen Soleil d’Est (15e) reste le plus fameux, comme celui du chef Vong (1er arrondissement), qui propose pour le Nouvel An un menu de sept plats avec langouste rose au gingembre et pigeonneau laqué (125 ¤). Epatant menu également Chez Ly (17e), où les meilleurs produits sont au service de la cuisine d’Hongkong. Lao-Tseu (7e), dans un genre intimiste, a mis au point quelques nouveaux plats savoureux. Le Têt se fête aussi chez Kim Anh (15e), qui est depuis vingt ans la meilleure ambassadrice de la cuisine du Vietnam.
Jean-Claude Ribaut
Retrouvez le blog de Jean-Claude Ribaut » Le Monde à table « .
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